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« Le cerveau est en perpétuelle réorganisation. Les scientifiques l'appellent la ' plasticité cérébrale '. Des synapses, ces ' boutons ' de connexion entre les neurones, se créent, d'autres disparaissent. En fonction des apprentissages et des interactions avec le monde environnant, des parties du réseau sont abandonnées au profit de nouvelles. Cette plasticité synaptique que l'on croyait réservée aux jeunes cerveaux opère dans le cerveau adulte jusqu'à la mort. On a donc en permanence la capacité de réorganiser son réseau pour tracer un chemin privilégié de circulation de l'information. Cela n'a l'air de rien. C'est énorme, notamment parce-que cela invalide les thèses du déterminisme génétique, sexuel, cérébral (femme volubile, homme scientifique). Un trader décide de devenir menuisier ? Les connexions liées à la manipulation des chiffres seront peu à peu abandonnées, tandis que celles liées à la précision manuelle s'enrichiront de nouvelles connexions synaptiques. »

 

Nicolas Delesalle – Télérama (juin 2010)

 

« C'est que la conscience est naturellement le lieu d'une illusion. Sa nature est telle qu'elle recueille des effets, mais elle ignore les causes. L'ordre des causes se définit par ceci : chaque corps dans l'étendue, chaque idée ou chaque esprit dans la pensée sont constitués par des rapports caractéristiques qui subsument les parties de ce corps, les parties de cette idée. Quand un corps ' rencontre ' un autre corps, une idée, une autre idée, il arrive tantôt que les deux rapports se composent pour former un tout plus puissant, tantôt que l'un décompose l'autre et détruise la cohésion de ses parties. Et voilà ce qui est prodigieux dans le corps comme dans l'esprit : ces ensembles de parties vivantes qui se composent et se décomposent suivant des lois complexes. L'ordre des causes est donc un ordre de composition et de décomposition de rapports, qui affecte à l'infini la nature entière. Mais nous, comme êtres conscients, nous ne recueillons jamais que les effets de ces compositions et décompositions : nous éprouvons de la joie lorsqu'un corps rencontre le nôtre et se compose avec lui, lorsqu'une idée rencontre notre âme et se compose avec elle, de la tristesse au contraire lorsqu'un corps ou une idée menacent notre propre cohérence. [ … ] Suivant que la chose rencontrée se compose avec nous, ou bien au contraire tend à nous décomposer, la conscience apparaît comme le sentiment continuel d'un tel passage, du plus au moins, du moins au plus [ … ]. L'objet qui convient avec ma nature me détermine à former une totalité supérieure qui nous comprend, lui-même et moi. Celui qui ne me convient pas compromet ma cohésion, et tend à me diviser en sous-ensembles qui, à la limite, entrent sous des rapports inconciliables avec mon rapport constitutif (mort). [ … ]

Le bon, c'est lorsqu'un corps compose directement son rapport avec le nôtre, et, de tout ou partie de sa puissance, augmente la nôtre. Par exemple, un aliment. Le mauvais pour nous, c'est lorsqu'un corps décompose le rapport du nôtre, bien qu'il se compose encore avec nos parties, mais sous d'autres rapports que ceux qui correspondent à notre essence : tel un poison qui décompose le sang. Bon et mauvais ont donc un premier sens, objectif, mais relatif et partiel : ce qui convient avec notre nature, ce qui ne convient pas. Et, par voie de conséquence, bon et mauvais ont un second sens, subjectif et modal, qualifiant deux types, deux modes d'existence de l'homme : sera dit bon (ou libre, ou raisonnable, ou fort) celui qui s'efforce, autant qu'il est en lui, d'organiser les rencontres, de s'unir à ce qui convient avec sa nature, de composer son rapport avec des rapports combinables, et, par là, d'augmenter sa puissance. Car la bonté est affaire de dynamisme, de puissance, et de composition de puissances. Sera dit mauvais, ou esclave, ou faible, ou insensé, celui qui vit au hasard des rencontres, se contente d'en subir les effets, quitte à gémir et à accuser chaque fois que l'effet subi se montre contraire et lui révèle sa propre impuissance. Car, à force de rencontrer n'importe quoi sous n'importe quel rapport, croyant qu'on s'en tirera toujours avec beaucoup de violence ou un peu de ruse, comment ne pas faire plus de mauvaises rencontres que de bonnes ? Comment ne pas se détruire soi-même à force de culpabilité, et ne pas détruire les autres à force de ressentiment, propageant partout sa propre impuissance et son propre esclavage, sa propre maladie, ses propres indigestions, ses toxines et poisons ? On ne sait même plus se rencontrer soi-même. »

 

Gilles Deleuze (1925-1975) dans Spinoza – Philosophie pratique (1981)

 

Entre Spinoza (1632-1677) et son Ethique (publié en 1677) et l'article tout bête du Télérama sur les récentes découvertes en neurologie, des échos se font par-delà les siècles. Cette idée de rencontres qui composent ou décomposent des rapports, idée qui fonde toute la machine conceptuelle de Spinoza autour de la vie, trouve appui sur ces toutes nouvelles découvertes sur le fonctionnement du cerveau. Deleuze qui rêvait d'une grande circulation entre les concepts des philosophes, les fonctifs des scientifiques, et les percepts et affects des artistes, aurait trouvé de quoi l'émouvoir dans cette parenté. Mais plus qu'une simple coïncidence de découvertes, ce que nous fait voir cette juxtaposition de citations c'est que :

Le temps linéaire est purement artificiel.

Ne penser l'histoire humaine que sur la base d'une immense échelle au fil de laquelle nous nous rapprocherions de plus en plus de la « vérité » de la vie, est une aberration. Spinoza n'a pas eu besoin de la neurologie pour faire ses découvertes. Mais l'histoire n'est pas plus circulaire que linéaire. L'écho que trouve Spinoza dans les découvertes scientifiques récentes n'est pas plus la preuve que l'histoire se répète selon un mouvement circulaire. Il est stupide de considérer qu'il existe un dualisme entre une conception linéaire du temps et une conception circulaire du temps, dualisme à partir duquel il s'agirait seulement de se placer d'un côté ou de l'autre. Se complaire dans des antagonismes comme celui-ci, c'est assassiner la pensée d'un coup de poignard dans le dos.

La ligne (temps linéaire) et le cercle (temps circulaire) sont de l'espace, de l'espace que nous essayons de faire passer pour du temps. Chaque fois que nous substituerons de l'espace à du temps pour comprendre l'homme et la vie, nous ferons fausse route.

« Nous nous exprimons nécessairement par des mots, et nous pensons le plus souvent dans l'espace. En d'autres termes, le langage exige que nous établissions entre nos idées les mêmes distinctions nettes et précises, la même discontinuité qu'entre les objets matériels. Cette assimilation est utile dans la vie pratique, et nécessaire dans la plupart des sciences. Mais on pourrait se demander si les difficultés insurmontables que certains problèmes philosophiques soulèvent ne viendraient pas de ce qu'on s'obstine à juxtaposer dans l'espace les phénomènes qui n'occupent point d'espace, et si, en faisant abstraction des grossières images autour desquelles le combat se livre, on n'y mettrait pas parfois un terme. Quand une traduction illégitime de l'inétendu en étendu, de la qualité en quantité, a installé la contradiction au cœur même de la question posée, est-il étonnant que la contradiction se retrouve dans les solutions qu'on en donne? »

 

Henri Bergson (1859 – 1941) - Essai sur les données immédiates de la conscience (1889)

 

« Mais Joachim ne pouvait plus répondre qu'avec difficulté et d'une manière indistincte. Il avait tiré un petit thermomètre d'un étui de cuir rouge, doublé de velours, qui était posé sur sa table, et il en avait mis dans sa bouche l'extrémité inférieure emplie de mercure. Il le tenait à gauche, sous la langue, de telle sorte que l'instrument de verre lui sortait obliquement de la bouche. [ … ]

« Mais combien de temps cela dure-t-il? » demanda Hans Castorp, et il se retourna.

Joachim leva sept doigts.

« Mais elles sont certainement passées, tes sept minutes. »

Joachim, de la tête, fit signe que non. Un peu plus tard, il retira le thermomètre de sa bouche, le considéra et dit en même temps :

« Oui, lorsqu'on surveille le temps, il passe très lentement. J'aime beaucoup la température, quatre fois par jour, parce-que, à ce moment, on se rend vraiment compte de ce que c'est en réalité qu'une minute ou même sept minutes, alors que des sept jours d'une semaine, on ne fait ici aucun cas, ce qui est affreux.
- Tu dis : en réalité. Tu ne peux pas dire : en réalité », répondit Hans Castorp.

Il était assis, une cuisse sur la balustrade, et le blanc de ses yeux était veiné de rouge.

« Le temps n'a aucune « réalité ». Lorsqu'il vous paraît long, il est long, et lorsqu'il vous paraît court, il est court, mais de quelle longueur ou de quelle brièveté, c'est ce que personne ne sait. »

Il n'était pas du tout habitué à philosopher, et cependant il en éprouvait le besoin.

Joachim répliqua :

« Comment donc ? Non. Puisque nous le mesurons. Nous avons des montres et des calendriers, et lorsqu'un mois est passé, il est passé pour toi et pour moi, et pour nous tous.
- Suis-moi un instant, dit Hans Castorp, et il leva l'index à la hauteur de ses yeux troubles. Une minute est donc aussi longue qu'elle te paraît lorsque tu prends ta température ?
- Une minute est aussi longue... elle dure aussi longtemps que l'aiguille des secondes met de temps à parcourir son cadran.
- Mais il lui faut des temps très différents... pour notre sentiment. Et en fait, je dis : en fait, répéta Hans Castorp en serrant son index tout contre son nez, au point d'en plier le bout, en fait, c'est un mouvement, un mouvement dans l'espace n'est-ce pas ? Attention, je t'en prie. Nous mesurons donc le temps au moyen de l'espace. C'est par conséquent à peu près la même chose que si nous voulions mesurer l'espace à l'aide du temps, ce qui n'arrive qu'à des gens tout à fait dépourvus d'esprit scientifique. De Hambourg à Davos, il y a vingt heures, - oui, en chemin de fer. Mais à pied, combien est-ce ? Et en pensée ? Même pas une seconde.
- Dis donc, reprit Joachim, qu'est-ce qui te prend ? Je crois que tu es devenu bizarre, chez nous.
- Tais-toi. Je suis très lucide, aujourd'hui. Ainsi qu'est-ce que le temps ? demanda Hans Castorp, et il replia le bout de son nez d'un doigt si violent qu'il devint pâle et exsangue. Veux-tu me dire cela ? L'espace, nous le percevons par nos sens, par la vue et le toucher. Parfait ! Mais quel est celui de nos sens qui perçoit le temps ? Veux-tu me le dire, s'il te plaît ? Tu vois, te voilà coincé ! Mais comment pourrions-nous mesurer quelque chose dont nous ne saurions même pas définir un seul caractère ? Nous disons : le temps passe. Bien, qu'il passe donc ! Mais quant à le mesurer, minute ! Pour qu'il fût possible de le mesurer, il faudrait qu'il s'écoulât d'une manière uniforme, d'où tiens-tu qu'il en soit ainsi ? Pour notre conscience, en tout cas, il n'en est as ainsi ; tout au plus, pour le bon ordre, admettons-nous qu'il le fasse, et nos mesures ne sont donc que des conventions, permets-moi de t'en faire la remarque...
- Bien, dit Joachim, par conséquent ce n'est qu'une convention que j'aie quatre divisions de trop sur mon thermomètre. Mais à cause de ces cinq traits, il faut que je tire ma flemme ici et je ne peux pas faire de service, ça c'est un fait plutôt répugnant. »

 

Thomas Mann (1875 – 1955) – La Montagne magique (1924)

 

Voilà un exemple de déroulement de pensée dans mon esprit, dont je suis peut être le seul à percevoir le peu de cohérence. Désolé pour l'aspect brouillon des problèmes abordés dont on peut peiner à saisir les articulations. Pardon également pour la longueur de l'article, je me suis notamment laissé emporter par la puissance de l'analyse deleuzienne de Spinoza. J'aurais pu également ajouter à cela un texte de Bergson sur la pendule et l'endosmose, mais il était quelque peu complexe.

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Depuis 1974 et la guerre qui a fait rage sur l'île de Chypre suite au coup d'Etat perpétré contre le Président Makarios, la Turquie maintient un fort contingent militaire sur le tiers Nord de l'île (en jaune sur la carte) afin de protéger les intérêts de la population turque qui y réside. Longtemps, les négociations n'ont pu avoir lieu. Ce n'est qu'après 2003 et la création de points de passage sur la "Ligne Verte" qui sépare l'île en deux que la situation s'est un peu détendue. Mais c'est réellement à partir de  février 2008 avec l'élection à la présidence chypriote du communiste chypriote grec Christofias et l'ouverture symbolique de la Rue Ledra de Nicosie (la capitale), point de passage de la "Ligne Verte", que les négociations ont réellement  pu reprendre entre Christofias et Talat (président sortant de la partie chypriote turque), notamment grâce aux propositions faites par l'ONU, et parmi elles : la création d'une confédération.

Si la question nécessite des négociations c'est que chaque parti tient à défendre certains intérêts. Du côté chypriote grec, il est à rappeler que lors du référendum de 2004 devant statuer sur l'acceptation du projet de Kofi Annan (secrétaire général de l'ONU à l'époque) consistant à organiser la réunification de l'île par l'intermédiaire d'une confédération bizonale et bicommunautaire, la partie turque a répondu favorablement, tandis que la partie grecque, largement majoritaire en termes de population (plus de 70%) a répondu négativement. Ayant été élu récemment, Demetris Christofias se doit de respecter le programme sur lequel il a été élu : la population chypriote grecque n'étant pas favorable à la solution confédérale, il a donc fermement refusé cette proposition. En effet , le projet Kofi Annan ne règlerait pas la question des propriétés que les chypriotes grecs ont dû déserter entre 1974 et 1975 suite à l'occupation turque. Accepter un tel plan serait légitimer cette spoliation et une partie de la population chypriote grecque n'y est pas favorable. En plus de la création d'une confédération, Talat avait proposé la mise en place d'une présidence tournante qui n'est pas sans rappeler l'impasse politique antérieure à 1974 durant laquelle les droits de véto se succédaient et se répondaient entre les deux partis, conduisant à une paralysie des institutions et finalement à une tension dont l'issue a été le conflit armé de 1974.

En revanche, la situation est différente du côté chypriote turc. Lors du référendum de 2004 sur le plan Kofi Annan, les chypriotes turcs se sont montrés favorables à l'unification sur la base d'une confédération. Les propositions de Talat à Christofias vont dans ce sens, cependant, elles dénotent d'une réelle inquiétude à propos de l'autonomie de la partie turque de l'île. Etant en forte minorité, les chypriotes turcs ne veulent pas être écrasés par la domination grecque, voilà pourquoi les propositions de Talat exigent une forte autonomie judiciaire de la partie turque. Mais si la population turque est favorable à une réunification c'est avant tout parce-qu'elle n'est pas reconnue internationalement : son Etat s'est autoproclamé après le conflit de 1974 et seuls la Turquie, l'Azerbaïdjan et le Pakistan lui reconnaissent sa légitimité tandis que le reste de la communauté internationale ne le fait pas. De plus, une réunification signifierait pour la partie turque une entrée de droit dans l'Union Européenne (la partie grecque faisant partie de l'U.E) et donc un certain nombre d'avantages économiques, ce qui pour cette partie de Chypre, la plus pauvre des deux à l'heure actuelle, a son importance. Il est également probable que la Turquie elle-même (qui maintient toujours son contingent militaire sur la partie chypriote turque au Nord de l'île) fasse pression sur le gouvernement chypriote turc pour que celui-ci réalise l'unification, car l'entrée dans l'Union Européenne de la partie turque pourrait être un argument de poids dans sa propre intégration à l'Union Européenne. Un double argument puisque la Turquie pourrait alors déclarer à l'U.E qu'une population turque ferait partie de l'U.E alors même qu'on la refuse entre autres pour des raisons culturelles et géographiques.

La diversité des intérêts des deux partis rend les négociations difficiles. En janvier 2010 les deux chefs d'Etat se sont rencontrés de manière intensive  mais il est désormais à craindre qu'aucune solution ne sera trouvé rapidement car le 19 avril dernier a signé l'élection au premier tour (avec près de 52% des voix) de Dervis Eroglu, un nationaliste notoire à la place de Mehmet Ali Talat. Désormais, la question de la réunification se trouve entre les mains d'un Chypriote grec communiste (Christofias) qui se conforme au refus de sa population de la solution confédérale et d'un Chypriote turc nationaliste (Eroglu) qui, au mépris de l'avis de ses concitoyens, pourrait bien mettre fin à toute négociation.


 
Post-scriptum : Un quelconque souci avec le nouvel habillage?
 

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  LA NAISSANCE DE LA TRAGEDIE


          Rappelez-vous le spectacle que nous vîmes mon âme, en rêve, ce beau matin d'hiver si doux. La gravité du paysage agonisant sous les coups répétés d'un monde viril où tout se trouve plus bas que terre, aussi bien les ressources que les êtres. Rappelez-vous ce moment de contemplation apollinien où dans l'aube aux doigts de rose, les bras de mer arachnéens succédaient aux monts déchiquetés et nus, où des paysages lunaires de désolation faisaient place à d'immenses mares d'eau croupie tavelées de lames glacées. Et ces hommes postés sur les crêtes de vastes plaies terrestres, par milliers, comme une invasion de parasites pugnaces et inconscients, ces Robinson Crusoë cherchant vainement dans la fange et les entrailles le secours d'une mère, d'une soeur, d'une amante. Au cours d'une crise d'hystérie collective, ils prirent le parti fatal d'abandonner la lecture des auspices pour celle des haruspices et tous se pointèrent du doigt : ce doigt, ce n'était pas celui de la Création d'Adam, l'index fertile, c'était celui de la condamnation.
          Puis ce fut aussi vers nous que se redirigea l'exécration publique, cela nous rendit d'abord aveugle mais cela  reproduisit en nous le sentiment du chaos sublime, de la destruction créatrice, de l'ouvert béant et vertigineux. L'opprobre était devenu un poison dans la boisson qui aurait dû nous faire sentir l'ivresse dionysiaque et bientôt ce rêve devint une aspiration au néant...


Comme si cela ne suffisait pas, alors que j'écrivais mon article hier, je suis tombé sur cet article du Monde.fr
ainsi que sur le Robinson de Thierry Chabert avec Pierre Richard sur Arte. J'aime les coïncidences qui font sens.


"JE VAIS FAIRE VOLER ET CHANTER ANDOAR"
De la crise politique actuelle

L'illustration que je prendrai ici pourra paraître anecdotique (quoiqu'elle me paraisse tout de même relativement éloquente) au regard de ce que je planifie de développer, pourtant j'ai envie de commencer par poser la question : Pourquoi le Parti Socialiste est actuellement obsolète? Il est inutile de préciser que je ne m'essaierai pas à en donner toutes les raisons, car cela m'amènerait à dresser une chaîne causale qui ne connaîtrait pas de fin et que je n'aurai ni la capacité ni la patience de dresser. C'est  Clément, garçon rencontré cet été en contrée costarmoricaine qui m'a permi sans le savoir de trouver ce point de départ à ma réflexion, grâce à son article sur le sujet.
Le reste est né de ma lecture de Les deux sources de la morale et de la religion de Bergson. Chez Bergson (que l'on me dise si je me trompe), pour que le tout de la société se soulève, il faut que le mouvement vienne des profondeurs. Cependant un tel mouvement requiert une force colossale qui doit ébranler la volonté. Plus que cela elle doit faire voler en éclat la moindre résistance de sorte que tout soit consenti, à la différence de l'obligation  qui doit exercer une pression sur l'individu, suffisamment pour que celui-ci se rende à la règle. Une telle émotion ne peut être l'effet d'une représentation préexistante, sans quoi elle ne serait qu'une agitation de surface. Elle est déjà une cause, elle est première et génératrice de représentations, qui se cristallisent jusqu'à parfois devenir des doctrines. À partir de là si l'émotion me pénètre je ne voudrais pour rien au monde lui résister, et elle portera ma volonté pour finir en représentation explicative dans mon intelligence. Elle résonne ainsi comme un appel, et s'incarne souvent dans une personnalité privilégiée et exceptionnelle qui devient un modèle. La Grèce avait connu ses sages, le bouddhisme ses Arahants, Israël a connu ses prophètes, le christianisme ses Saints. Et chaque fois que l'appel résonnait des foules s'ébranlaient. Mais à une moindre échelle nous avons tous connus une expérience plus ou moins similaire sans nécessairement avoir rencontré l'un de ces Héros au "front éclairé" (dixit Victor Hugo à propos des poètes). En effet chacun de nous s'est déjà demandé ce que telle personne (connue ou inconnue) aurait attendu de nous en une certaine occasion.

Bergson explique cela à propos de la morale, mais il me paraît évident que le principe de pression (obligations de la société qui font planer quelque chose d'impératif sur les individus et qui servent à raviver la flamme d'une émotion perdue) - aspiration (la négation des résistances où tout est consenti et qui permet l'adéquation de l'individu avec le principe même de la vie) est applicable à la sphère politique, au sens où la politique désigne la gestion des affaires publiques, et que par conséquent morale et politique entretiennent un lien indéfectible.
Pourquoi donc traversons-nous une période si sombre politiquement, mais surtout socialement? Le XXe siècle aura été marqué par deux idéologies à la fois dominantes et antagonistes: le capitalisme et le communisme, et chacune d'elles aura eu son lot de figure fortes, et d'autant plus en ce qui concerne le stalinisme au sens où le régime impliquait le culte du chef. On pourra m'objecter qu'il est déplacé de prétendre que le communisme (le stalinisme devrait-on dire, l'idéologie communiste n'a jamais revendiqué l'oppression du peuple) a créé un phénomène d'aspiration alors qu'il a fait peser des pressions colossales sur les individus, ce à quoi je répondrai : "FAUX!" Si le stalinisme fût un despotisme patent, l'idéologie communiste a soulevé les foules et l'exemple de la Révolution Russe de 1917 en sera un exemple éloquent. Il est tout de même extraordinaire que dans la Russie tsariste soit née une émotion si forte et si profonde qu'elle ait réussi à faire naître une idéologie si différente du régime monarchique et autocratique qui existait depuis le XVe siècle, et finir même à terme par pousser le peuple russe à prendre les armes et à renverser un régime plus de quatre fois centenaire. Capitalisme et communisme ont également fait tourner les usines toujours plus vite, ont donné naissance à quantité d'innovations, de technologies et de réflexions pendant des décennies.

Qu'en est-il aujourd'hui? Le communisme a été écrasé pour ne plus survivre que dans le coeur de quelques uns et le capitalisme est désormais si ancré mondialement qu'il étouffe la population entière. Les émotions peinent à germer dans ce monde infertile où même l'émotion écologique est déjà presque entièrement  engloutie par le Capital et son obsession de la culture de l'image. Et ne parlons pas de la démocratie qui peine à exister dans une sphère politique qui n'est ni plus ni moins qu'une industrie.
Aujourd'hui pour faire de la politique il faut être un professionnel, disposer d'un diplôme sans quoi on ne peut exercer une fonction politique. Je ne prétends pas qu'il ne faille aucune compétence pour occuper des fonctions administratives, mais justement un homme politique est un administrateur. La politique n'est pas un métier, une tâche à remplir par des professionnels mais un effort quotidien par tous et pour tous. Aujourd'hui, on nie sans vergogne le capacité de chacun de nous à faire de la politique, de participer à la société. Mais comment une société peut-elle évoluer quand une frange extrêmement minoritaire de celle-ci lui refuse le droit d'y participer? C'est comme vouloir faire du café sans café (construire la société, sans la société).
Aucune émotion ne peut plus germer suffisamment pour soulever nos foules, car d'un côté ceux qui nous dirigent se débrouillent pour rester au pouvoir puisqu'ils ont un intérêt personnel à y rester, et de l'autre côté, une large part de la population a comme intégré que la politique n'était pas de son ressort, que nous n'étions que des veaux qui devions choisir parmi un éventail de programmes politiques en fonction de nos intérêts propres.
Certaines sociétés "primitives" ont compris bien avant nous que si l'on veut un dirigeant (ou une classe dirigeante), il faut que celui-ci n'ait aucun intérêt personnel à occuper cette place, bien au contraire. Par conséquent, le chef d'une telle société se contente d'être le porte-parole de ce que veut la société et ne dispose d'aucun pouvoir sur celle-ci. Et si d'aventure, son avidité de pouvoir et de prestige lui monte à la tête, la société le délaissera ou le tuera carrément. Cela peut paraître absurde au premier abord, mais si l'on désire avoir un chef il faut que celui-ci soit entièrement dédié à sa fonction, presque comme une bête sacrificielle. Or je doute qu'avoir beaucoup d'argent, de pouvoir et une belle femme dissuade quiconque d'occuper une fonction politique.
Pourquoi donc le PS est-il obsolète finalement (puisque c'était la question introductive)? Pour toutes ces raisons. L'insuffisance institutionnelle qui dénature ce que devrait être réellement la politique, l'infertilité émotionnelle d'un monde qui étouffe sous la pression de l'économie de marché nous empêchent de vivre à l'heure actuelle un renouveau politique.

Je reste donc à l'affût de l'appel du Héros tout en sachant bien qu'aucun héros ne peut exister si aucune émotion n'est à incarner. Faut-il espérer que le monde s'écroule pour qu'enfin d'autres émotions puissent germer partout dans ce monde aujourd'hui pollué et stérile?

Références :

- L'article de Yaqov-Eleutherion par ici.
- Les articles de Clément par ici mais également par là.
- L'article de Pierre Clastres paru dans la revue Interrogations en mars 1976 par ici.
 
Internet rend-il bête?

C'est une question que j'ai vu se poser il y a quelques mois sous l'influence par exemple d'Alain Finkielkraut (dit "philosophe") et notamment grâce à l'article du Télérama à propos de cette question. La question divise, c'est d'ailleurs bien pour cela que le débat est si intense, et l'opposition entre les défenseurs et les détracteurs du Web n'est pas comme on pourrait le croire une opposition entre technophiles et technophobes.
Un des arguments majeurs des défenseurs du Web est ce qu'on appelle la "sérendipité", néologisme datant du XVIIIe siècle et qui sert à qualifier les découvertes inattendues. Par exemple, la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb est sérendipiteuse, i.e, complètement fortuite. Internet en cela est le paradis des découvertes fortuites, notamment grâce à l'hypertexte, qui permet de faire des liens directs avec d'autres documents. De l'autre côté on trouve le témoignage de Nicolas Carr qui déclare à peu près cela :

« Ces dernières années, j’ai eu la désagréable impression que quelqu’un, ou quelque chose, bricolait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogrammait ma mémoire. Mon esprit ne disparaît pas, je n’irai pas jusque-là, mais il est en train de changer. Je ne pense plus de la même façon qu’avant. C’est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. Mon esprit était happé par la narration ou par la construction de l’argumentation, et je passais des heures à me laisser porter par de longs morceaux de prose. Ce n’est plus que rarement le cas. Désormais, ma concentration commence à s’effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m’agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire. J’ai l’impression d’être toujours en train de forcer mon cerveau rétif à revenir au texte. La lecture profonde, qui était auparavant naturelle, est devenue une lutte. »
Mon esprit attend désormais les informations de la façon dont le Net les distribue : comme un flux de particules s’écoulant rapidement. Auparavant, j’étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski.
»

On remarque donc que du côté des détracteurs du Net, certains sont même des gros geeks. D'autres non. C'est le cas d'Alain Finkielkraut, aussi philosophe qu'Houdini est serrurier, qui nous fait sur le plateau (internet) d'Arrêt sur Images une belle démonstration de son érudition dans le domaine. On remarquera donc que désormais pour établir des essais grotesques il n'est plus nécessaire de s'être penché sur ce qui fait l'objet de notre étude, on peut y aller de son statut de "philosophe" pour être crédible aux yeux de la populace.
Mon avis sur la question est donc qu'encore une fois les gens s'emportent dans des élucubrations fallacieuses alors qu'internet prend de plus en plus d'importance dans notre vie quotidienne. On nous ressert les mêmes inquiétudes qu'à l'arrivée du téléviseur et de la multiplication des chaînes. Internet est un OUTIL, et comme tout outil, il s'ouvre à différentes utilisations qui peuvent se révéler bénéfiques ou néfastes. Alors NON, internet ne rend pas bête. Au pire, Internet peut accentuer une bêtise préexistante, mais ne peut certainement pas rendre bête comme on choperait la vilaine Grippe A(pocalypse). 
De mon expérience personnelle je retiens en tout cas que je suis persuadé qu'Internet ne m'a pas rendu bête bien au contraire. J'ai de fortes raisons de penser qu'aujourd'hui même je n'aurais pas mon bac en poche avec la mention très bien, que je ne m'intéresserais pas à la philosophie, que je ne me dirigerais certainement pas vers Hypokhâgne, et que ma culture générale serait équivalente à celle d'un ornithorynque mort sur le bord d'une route. Mais Internet n'est pas non plus cette panacée censée élever toute notre population au sommet de la connaissance, il faut seulement arrêter la psychose, on peut très bien lire des bouquins et des articles virtuels en même temps. Je trouve ridicule de dire qu'Internet dénature à ce point la pensée qu'on en arrive à ne plus pouvoir atteindre la pseudo "pensée profonde", qu'on érige du même coup en mythe.

En bref, j'en ai marre que des peigne-cul viennent nous beurrer la raie avec leurs théories pourries uniquement parce-qu'ils ont rien trouvé de mieux que ça pour renflouer leur compte en banque ou accroître leur prestige personnel! Allez chier dans une fiole on verra après!

Mise à jour : Cet article est une manifestation d'humeur et aborde donc de manière assez médiocre le problème, voilà pourquoi je recommande la lecture des commentaires, qui me semblent largement plus satisfaisants quant à la réponse à donner à la question.
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