Ci-gît la Justice française. En effet, alors que je lisais cet article à propos du projet de Loi Hadopi et que j'écoutais cette chronique (de Didier Porte), m'est revenue une constatation, qui me turlupine depuis déjà longtemps et qui ne vous aura peut être pas échappée, toujours est-il que c'est au moins l'occasion d'en discuter.
Nous connaissons tous ici je suppose ce fameux article de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme : « Article 11. Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. », dit en clair, c'est la présomption d'innocence. En France, ce droit apparaissait déjà lors de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, avant laquelle la Justice était rendue par la disposition contraire, c'est à dire que l'accusé était présumé coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence, chose qui nous paraît aujourd'hui assez absurde, du moins je l'espère.
Pourquoi ce revirement de situation à cette époque précise? Parce-que jusqu'alors, la puissance accusatoire procédait de l'autorité, c'est à dire à l'époque du Monarque de Droit Divin. La Révolution Française signant la séparation du Divin et du Civil, il parut évident qu'à partir du moment où la Justice n'était plus garantie par le poids du Divin, il valait toujours mieux un coupable en liberté qu'un innocent injustement condamné, a fortiori à cette sombre époque où la Peine de Mort proliférait.
Jusqu'à présent, si vous n'avez pas cliqué sur les deux liens du début de l'article, vous ne voyez sans doute pas de quoi je veux parler exactement, mais je vais y venir. Premièrement, je veux simplement revenir sur l'affaire des terroristes "anarcho-autonomes" (expression au sens assez nébuleux, si ce n'est qu'elle est manifestement utilisée pour son aspect effrayant) de Tarnac, et plus précisément le cas de Julien Coupat, ce jeune Limousin enfermé depuis 155 jours aujourd'hui et considéré comme le cerveau d'un groupe "terroriste d' Ultra Gauche" qui aurait été à l'origine de divers "attentats" sur des lignes ferroviaires SNCF.
Le Gouvernement et plus précisément Michèle Alliot Marie, si persuadés de la « résurgence d’un terrorisme d’ultra-gauche de la mouvance anarcho-autonome » (ici la phrase prend tout son ridicule) ont immédiatement monté l'affaire en épingle, persuadés d'avoir trouvé les coupables. Aucune preuve suffisante ne vient justifier le si long enfermement de Julien Coupat et au delà de cela, l'enquête a délibérément ignoré des indices autrement plus convainquants menant à une association écologiste franco-allemande.
On assiste alors vraisemblablement à une intrusion du pouvoir politique dans l'affaire, ce qui est contraire à la Déclaration des Droits de l'Homme également, dont les articles 8 et 10 établissent les droits de la défense et les modalités de son application : "le tribunal doit être équitable et impartial, c'est-à-dire indépendant des parties et indépendant du pouvoir politique. "
La reprise de l'affaire par les médias sur le même ton que celui de Michèle Alliot-Marie (c'est à dire en faisant fi de la présomption d'innocence) démontre en plus l'enchère au sensationnel qui a cours depuis déjà trop longtemps et qui aujourd'hui joue sur nos peurs pour récolter de l'audimat.
Ce qui m'amène à l'objet précis de cet article. Depuis déjà trop longtemps on applique ce schéma archaïque et contraire à l'éthique adoptée en France en 1789. Si avant la Révolution Française, le Droit fonctionnait ainsi, c'est entre autres parce-que l'autorité était de Droit Divin, or aujourd'hui, le Divin n'est pas plus présent dans nos vies qu'en 1789. Mais alors, qu'est-ce qui pourrait faire autant autorité aujourd'hui que le Divin, jadis?
Si l'on ignore la présomption d'innocence, cela signifie que l'on préfère qu'un coupable soit en prison plutôt qu'un innocent soit condamné injustement. Selon moi, de toute évidence, il existe une instrumentalisation de la peur (ou du moins une omniprésence) qui fait que le système judiciaire cherche à tout prix un bouc-émissaire qui pourrait calmer cette peur, qu'il soit coupable ou innocent. On ressent cela réellement comme une urgence, ce qui est compréhensible, mais doit-on pour autant en arriver là et tolérer les erreurs judiciaires comme des dommages collatéraux? Non je ne crois pas, et c'est ce que les gens avaient bien compris après la Révolution, c'est que pour la société, l'injustice est beaucoup plus dommageable qu'un criminel dans la nature, même si on a de plus en plus tendance à l'oublier en se laissant saisir par la peur suscitée par les images de catastrophes, de meurtres etc... Les journaux télévisés ne sont plus qu'un vaste trou qu'on remplit tous les jours de faits divers tous plus glauques les uns que les autres. Natascha Kampusch séquestrée durant 8 ans? "Bouarf! dit-on avec dédain, record battu par Joseph Fritzl qui a séquestré sa fille pendant 24 ans ! " à quand les Jeux Olympiques de l'horreur?
Alors comme le dit ironiquement Didier Porte à la fin de sa chronique :
"Et surtout chers concitoyens, continuez d'avoir peur, c'est une merveilleuse garantie de cohésion sociale"